Les dark kitchen : une menace pour la restauration classique ?
La multiplication des dark kitchen interroge le modèle de la restauration traditionnelle. De quoi parle-t-on au juste ? Quels avantages et quelles limites ?
Dark kitchen, ghost kitchen ou restaurant fantôme. Mais de quoi parle-t-on ? Concept importé des États-Unis, il désigne ces cuisines desquelles sortent des plats à priori semblables à ceux des restaurants mais uniquement accessibles en livraison. Le concept rencontre-t-il un succès ? Selon Adrien de Schompré, fondateur de Smart Kitchen, le phénomène connaît une croissance de 25% par an, et déjà 1 500 marques présentes sur UberEats ainsi qu’une branche dédiée Editions chez Deliveroo. Une tendance si prometteuse que la start-up parisienne Dévor a levé un million d’euros, l’acteur britannique Taster 12 millions pour s’étendre à l’international et Not So Dark 20 millions dans un objectif d’ouvrir 30 nouvelles cuisines. Un phénomène en plein essor donc, qui continue de s’étendre, mais jusqu’où ? Les dark kitchen vont-elles prendre le dessus sur la restauration classique ?
Qu’entend-on par dark kitchen ?
Dark kitchen, ghost kitchen, cloud kitchen, cuisine fantôme… De nombreuses appellations pour définir un même concept : une cuisine 100% dédiée à la livraison de repas, sans salle, sans personnel ni service, sans contact client, sans décoration ni vitrine. Une seule cuisine pour accueillir plusieurs marques DNVB pour “Digital Native Virtual Brand” - marques qui se développent exclusivement via Internet, pouvant ainsi faire cohabiter sushis, burgers, tacos et autres sur le même plan de travail, avant d’être livrés via différentes plateformes de livraison.Le concept de dark kitchen permet d’augmenter rapidement son chiffre d'affaires, sans s’alourdir de frais et de tâches administratives. Augmenter son chiffre d’affaires en louant à faible prix une cuisine équipée afin de préparer et envoyer en quantité des plats dédiés à la livraison. Au sein de ces cuisines cohabitent des marques entièrement virtuelles nées du concept, mais aussi desextensions de restaurants déjà bien établis, décidés à en tirer une nouvelle source de revenus tout en conservant ses activités classiques.
Le groupe Panorama en est un exemple. A l’origine propriétaire de 5 restaurants réputés à Paris, le groupe décide de s’étendre en 2018 et ouvre “Dark Kitchen” rebaptisé récemment “Dévor”. Trois cuisines fantômes Dévor ont ainsi vu le jour à Paris, une à Nice et une à Bordeaux, proposant 6 marques virtuelles principalement street-food. Mais Jean Valfort, fondateur du groupe, annonce en février aller encore plus loin et propose un modèle de franchise pour ses cuisines fantômes.
Le groupe Big Mamma a également fait son entrée en jeu avec sa marque virtuelle Napoli Gang. Résultat positif pour la marque : 133 000 pizzas vendues par mois contre 15 000 dans leur restaurant en temps normal. S’étant interdit de proposer leurs produits en livraison jusqu’à la crise, l’offre va-t-elle rester éphémère ou devenir une offre durable ?S’affranchir des contraintes opérationnelles de la restauration classique nécessite néanmoins une performance chronométrée en cuisine. Les consommateurs ont de nouvelles attentes, de nouveaux besoins. Tout doit être organisé pour assurer une livraison dans les conditions requises : temps, température, et résultat fini souhaité. Les cuisines fantômes ne ressemblent donc pas aux cuisines de palace. Elles sont conçues pour maximiser l’efficacité et optimiser le temps de confection. Car en livraison, la rapidité reste un facteur clé. Les consommateurs n’y cherchent pas de la grande gastronomie ou une expérience de service mais de l’efficacité. En retirant tous les aspects d’une expérience de restauration traditionnelle, les marques virtuelles doivent assurer une seule tâche : servir en un temps restreint un plat de la qualité promise.
Le modèle des cuisines fantômes se rapproche alors d’une économie d’échelle. Pour être rentable, tout se joue dans le volume. Les recettes proposées sont adaptées. Les fondateurs de Foudie, une dark kitchen présente à Toulouse, partagent par exemple avec France Info les coulisses de leurs marques virtuelles. Ils affirment que chaque recette est conçue pour la livraison, ce qui leur permet d’envoyer entre 80 et 150 commandes par jour. La cuisine assure le débit avec une séparation nette des pôles chaud, froid et emballage.De plus en plus d’acteurs se bousculent sur ce marché dit prometteur. En 2020, Karma Kitchen, Frichti, Keats et Taster sont les entreprises européennes les plus ambitieuses selon les chiffres Statista. Avec 300 millions d’euros levés cette dernière année par Karma Kitchen, suivi par Frichti avec une levée de 50 millions d’euros, ces entreprises témoignent de leur croyance dans la durabilité des ghost kitchen. La croissance affichée par les dark kitchen impressionne et interroge.
Pourquoi le phénomène dark kitchen a-t-il explosé dernièrement ?
Le concept importé des Etats-Unis existe depuis quelques années, mais 2020 marque un véritable tournant. La livraison, seule variante de restauration restée autorisée depuis le début de la crise sanitaire, a par conséquent explosé cette dernière année et s’inscrit désormais dans les habitudes de consommation des Français. Deliveroo passe de 12 000 restaurants signés en début 2020 contre 20 000 en fin d’année.
Les offres se déclinent, les restaurateurs gastronomiques contre toute attente, sont de plus en plus nombreux à entrer sur le marché. Stéphanie le Quellec propose les plats étoilés de l’emblématique Tour d’Argent, Alain Ducasse se diversifie avec Ducasse chez moi, Hélène Darroze adapte l’offre de son restaurant Joia pour offrir des burgers gastronomiques. La plateforme Tiptoque a même vu le jour pour rassembler toutes les offres étoilées en une application. Cet essor de la livraison entraîne par conséquent l’essor des cuisines fantômes. La crise sanitaire a donc été un levier de croissance pour ce business. Le chiffre d'affaires de la restauration classique enregistre une baisse de 55% par rapport à 2019 lorsque Taster multiplie par 2 ses résultats depuis le confinement. Anton Soulier, fondateur de la dark kitchen Taster, affirme ainsi que “Le Covid a fait gagner 3 ans au marché”. Confinement puis couvre-feu, télétravail, pas d’envie de cuisiner, faute de temps pour faire ses courses ou aller chercher à emporter, la livraison semble depuis octobre 2020, presque le seul moyen de se restaurer. La digitalisation de la restauration a également joué un rôle important dans le déploiement des dark kitchen. Comme nous l’avions détaillé dans notre article, le digital est désormais inévitable pour les restaurateurs s’ils veulent répondre aux nouvelles attentes. La technologie se trouve ainsi au cœur du succès de ces entreprises de cuisines fantômes. De la commande à la livraison, le parcours client se fait à travers une application. Tout point de contact est digitalisé. Cependant, l’utilisation de ces moyens technologiques ne touche pas tout le monde mais concentre davantage les nouvelles générations.
Quels avantages offrent les dark kitchen pour les gérants ?
- Un investissement initial plus limité que pour lancer un restaurant : “6 à 10 fois moins cher que celui d’un restaurant classique, en fonction de l’équipement que l’on choisit” précise ainsi Jean Valfort, de Dévor, anciennement Dark Kitchen.
- Des coûts réduits à la location d’une cuisine équipée, une brigade, des produits alimentaires et des emballages (sans oublier la commission des plateformes de livraison qui rémunère l’apport d’affaires et le service opérationnel. Nous vous livrons ici nos conseils pour mettre en place une activité de livraison rentable.)
- Moins de pression pour trouver “l’emplacement idéal”, le local bien placé, bien orienté… Il suffit désormais de choisir sur une zone où le volume total de clients à moins de 3 km est assez conséquent.
- Moins de gestion humaine et d’administratif social. Retirer la gestion d'un service en salle diminue les effectifs de salariés et la gestions de problèmes inattendus avec les clients ou serveurs.
- Les marques virtuelles offrent une flexibilité au fondateur sur la conception du menu, ou l’existence même de la marque. Si l’offre porte sur des spécialités mexicaines mais ne répondent finalement pas à la demande, il suffira de repositionner cette offre. Une marque virtuelle peut ainsi disparaître et apparaître plus facilement.
- Pouvoir modifier les plats de la carte à tout moment permet d’adapter son offre à ses stocks et minimiser ainsi les pertes et donc les coûts et le gaspillage alimentaire.
- Une rapidité d’exécution et une agilité : les étapes de définition du concept original pour se différencier du restaurant au coin de la rue, d’investissement en décoration sophistiquée, de recrutement d’une équipe efficace et la mise en place d’une cuisine adaptée, n’apparaissent plus indispensables.
- De nouveaux modes de vie nourrissent une demande croissante pour les repas en livraison. En télétravail, la pause déjeuner des personnes actives ou étudiantes, a pris une nouvelle tournure. N’ayant ni le temps de cuisiner, ni accès aux restaurants, les dark kitchen répondent à ces nouveaux modes de vie.
Avantages financiers, gains de temps, flexibilité et forte expansion, les dark kitchen sont-elles à envier ?
Mais le concept affiche des limites évidentes
- Aller au restaurant, sur place et profiter de toute l’expérience accompagnant le plat, ne répond pas aux mêmes besoins que commander un repas à domicile. Le même plat, dans son canapé ou servi en terrasse, ne peut avoir le même prix. Contrairement à la restauration traditionnelle, les dark kitchen ont peu de valeur à ajouter à leur menu, outre la rapidité de service. Il serait difficilement acceptable pour un consommateur de débourser plus de 30 euros pour un burger chez soi.
- Un prix d’autant plus faible que les marques virtuelles se rapprochent du “fast-food” et “street-food”, avec des recettes peu élaborées en réponse au critère de rapidité. Les paniers moyens de Dévor et Taster autour de 20/25 euros en témoignent. Pour maximiser la quantité de plats sortis en un temps record, certaines techniques sont mises en places telle que l'utilisation des mêmes ingrédients pour différents plats de différentes marques, affirme Jean Valfort. Les tacos de A seront garnis de la même viande que les burgers de B. Un déficit de qualité qui nuit à l'image des dark kitchen, souvent associées à de la “malbouffe”.
- La commission prélevée par les plateformes de livraison effraie de nombreux restaurateurs et fragilise leurs marges. Vous pouvez creuser le sujet sur notre article “plateformes de livraison vs. livraison en propre”. Rappelons simplement que la commission rémunère l’apport d’affaires et tout le service opérationnel. Les pourcentages s’élèvent jusqu’à 40% pour les dark kitchen.
- Cependant, la livraison présente certaines limites. Des limites sociales perdurent avec une précarité des livreurs. La livraison entraine également des limites écologiques car demande beaucoup d'emballage. Quelques conseils ici pour l'écologie au sein de votre restaurant !
- Les dark kitchen ambitieuses, nécessitent de débloquer d’autres budgets. Faire connaître une marque virtuelle, sans façade ni vitrine, convaincre un consommateur de vous choisir aux côtés de centaines d’autres marques livrées par la plateforme, se différencier sur un marché en pleine expansion, demandent à l’évidence une stratégie de marketing digital efficace. Et par conséquent un budget à consacrer pour convertir et fidéliser une clientèle qui ne vous voit pas. Malou donne les clés pour un marketing digital efficace grâce à sa MalouApp.
Dark kitchen et la restauration classique ne peuvent-ils pas cohabiter ?
Aujourd’hui, de nombreux chefs et restaurateurs voient les dark kitchen d’un mauvais œil. Ces cuisines cachées peuvent-elles être perçues comme une menace pour la restauration ?Les deux entités sont-elles comparables ?Nicola Ary, propriétaire du restaurant Holybelly, considère qu’un éloignement si brutal de l’expérience client classique ne peut représenter le futur de la restauration. Pour lui, la restauration ne se résume pas à vendre de la nourriture en quantité mais faire vivre une expérience.
Dans la même lignée, mon_paname, blogueur et rédacteur chez Time out Paris, publie une vidéo dans laquelle il fait part de son mécontentement concernant les dark kitchen. Un nouveau mode de restauration qui se rapproche d’un fonctionnement d’usine. Cependant, il est important de discerner la restauration traditionnelle d’une cuisine fantôme, comme un restaurant gastronomique ne peut être comparé à un fast-food. Par le simple fait de ne pas proposer de lieux de vie, les dark kitchen ne remplaceront pas les restaurants classiques, mais complètent l’offre de restauration, pour une nouvelle demande. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, 52% des Français affirment que ce qui leur manque le plus en ces temps de pandémie reste d’aller au restaurant.
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